Le combat des travailleurs et travailleuses chez Dumarey Powerglide en Alsace 

Le combat des travailleurs et travailleuses chez Dumarey Powerglide en Alsace

Malek, technicien chez Dumarey depuis plus de 33 ans et militant de la CGT, a accepté de répondre à nos questions. À travers son témoignage, ce n’est pas seulement l’histoire de la transformation « d’un grand groupe mondial en une petite entité » qui émerge, mais aussi celle de milliers de travailleurs et de syndicalistes. Le cas particulier de cette usine met en lumière les mécanismes implacables du système capitaliste en général. 

Alsace : Les “Plans de Sauvegarde de l’Emploi” au service des profits actionnariaux 

En Alsace comme ailleurs, les « Plans de Sauvegarde de l’Emploi » (PSE) s’enchaînent sans répit. Après CLESTRA l’an passé, dont la bataille juridique et sociale est encore loin d’être terminée, la liquidation de l’entreprise CADDIE a eu lieu au mois de juillet. C’est maintenant au tour de l’entreprise Dumarey Powerglide de faire face à une nouvelle épreuve. 

Selon le Ministère du travail, les PSE “ visent à faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement économique est inévitable”.  Les travailleurs, eux, savent bien que ces licenciements sont loin d’être inévitables, surtout dans un contexte où l’actionnaire a largement profité de la situation. En effet, à Dumarey, l’actionnaire principal a empoché plus de 150 millions d’euros grâce aux dividendes et à la restructuration du capital social.  

 Quant aux reclassements, vendus par la direction comme la solution lénifiante à l’arrêt quasi complet de la production, ils ne sont qu’un miroir aux alouettes. Il s’agit simplement d’affecter des ouvriers qui ont perdu leur poste à des tâches sans rapport avec leurs qualifications. Au passage, Dumarey “réinternalise” des fonctions auparavant externalisées (nettoyage, sécurité, etc.)   

De Général Motors à Dumarey : la mort programmée d’une usine strasbourgeoise 

L’entreprise actuellement nommée Dumarey, mais plus familièrement appelée PUNCH par les strasbourgeois, existe depuis 1967. Initialement, elle employait plus de 3.000 salariés. Située dans la zone industrielle du Port du Rhin1, elle produit des boîtes de transmission automatiques pour voitures (6 et 8 vitesses).  

Initialement propriété de Général Motors, comme Malek nous l’a expliqué, suite à une « grave crise », les dirigeants « ont fermé un paquet d’usines… et ont liquidé à Strasbourg alors que la boîte était bénéficiaire ! » 

En 1985-1986, les plans de licenciement s’enchaînent et la boîte est renommée à de nombreuses reprises « à cause du fisc ». 

En 2010, General Motors tente de liquider l’entreprise, mais la conserve après avoir imposé la réduction des RTT et la suppression des primes. 

Entre 2010 et 2012, une « fausse reprise » se déroule avant que Dumarey rachète l’entreprise en 2013, la rebaptisant Punch. À cette époque, elle ne compte plus que 1.200 salariés.  

De 2013 à 2023, l’entreprise, qui a fonctionné sous le nom de Punch, a connu une réduction significative de ses effectifs. Actuellement, il ne reste plus que 850 salariés, dont 250 sont en intérim. L’entreprise est désormais connue sous le nom de Dumarey. 

Pour augmenter leurs profits, les entreprises comme Dumarey n’hésitent pas à restructurer et à licencier, même lorsqu’elles sont bien rentables. Cette démarche se fait au détriment des travailleurs, main-d’œuvre qui seule génère la véritable valeur.

Dumarey, en particulier, adopte cette logique en mettant en œuvre des licenciements ou des départs à la retraite anticipés pour réduire les coûts salariaux. Cette stratégie, loin d’être une solution, privilégie l’augmentation des profits à court terme au détriment du bien-être des employés, qui voient les cadences de travail augmenter, au détriment de la stabilité de l’emploi.  

Mais qu’est-ce qui se passe à Dumarey ?  Une crise grave après l’arrêt des commandes de ZF 

Au cours de la manif’ du 1er mai, nous retrouvons avec plaisir, comme toujours, notre camarade Malek. Cependant les nouvelles ne sont pas bonnes : il nous apprend que ça chauffe dans sa boîte et qu’il y a de sérieuses raisons de s’inquiéter.  

La production va drastiquement chuter car l’usine allemande ZF, dont Dumarey est sous-traitante, rencontre de son côté des difficultés et a décidé d’arrêter ses commandes de boîtes de vitesses à 8 rapports (qui équipe des véhicules haut de gamme de BMW) à partir du 1er septembre (à noter que ZF va licencier de son côté 14000 salariés en Allemagne). Un problème majeur se profile : ZF représente jusqu’à 80% du carnet de commandes de Dumarey. Cette situation critique survient en dépit des avertissements répétés des camarades CGT élus en CSE, qui avaient insisté sur la nécessité de diversifier les clients. 

“La sous-traitance est un mécanisme par lequel le capitalisme réduit les coûts de production tout en exacerbant les inégalités sociales et économiques. Les entreprises sous-traitantes, sont soumises à une pression intense pour maintenir des prix bas, et imposer des conditions de travail précaires pour rester compétitives. Ce processus illustre l’exploitation de la force de travail, car les travailleurs se trouvent avec des salaires plus bas et une sécurité d’emploi moindre. Cette division de travail empêche l’organisation efficace des travailleurs et affaiblit les syndicats, qui jouent un rôle crucial dans la lutte contre l’exploitation capitaliste”.  

Bien entendu, la direction n’a lâché l’information qu’en avril, « alors qu’ils le savaient déjà depuis novembre 2023 ! On a même eu une prime PPV de 4000 €, on nous répétait tout va bien… ». Bien sûr, Malek, comme les autres camarades, connaît la manœuvre et souligne : « l’année 2023 a été super rentable, et maintenant on nous dit que les caisses sont vides ! »

Résultat anticipé : « dégraissage » massif, à commencer par les intérimaires. Bien sûr, le patron promet de nouvelles productions mais selon les camarades CGT, 370 emplois sont menacés à court terme !  

Fin avril, les démarches pour le droit d’alerte ont été enclenchées, ce qui a permis aux camarades de contacter un expert extérieur pour obtenir les informations que le patron ne veut pas lâcher. Les camarades demandaient alors au moins une garantie d’emplois maintenus sur 5 ans. 

Fin juin, les syndicats appelait les salariés de Dumarey à la grève de la modulation du travail des samedis et dimanches. Des arrêts de travail ont permis de réunir toutes les équipes.  

Des AG ont été organisées pour informer les salariés et décider des revendications et des actions à mener. 

Des années de lutte syndicale : notre camarade Malek à Dumarey 

notre camarade Malek à Dumarey

Malek, 56 ans, a rejoint Dumarey en 1991 en tant qu’agent de fabrication ouvrier. Rapidement, il s’est engagé dans l’action syndicale, encouragé par ses collègues qui appréciaient sa motivation et son refus de se laisser intimider. À l’époque, la section CGT ne comptait que 3 ou 4 membres, mais avec l’arrivée de Malek et d’autres jeunes, le nombre d’élus est monté à 20. Convaincu par les valeurs et le combat de la CGT, il a choisi de s’y investir pleinement. Après plusieurs mandats, il se consacre désormais à la communication du syndicat. Nous avons rencontré Malek lors des manifestations contre la réforme des retraites, avant de mener ensemble des actions interprofessionnelles. 

Malek nous a conté ce qui fait le pain quotidien du syndicaliste dans une boîte privée, et les tactiques des patrons pour étouffer l’action syndicale : « tentatives de corruption à la promotion, menaces, cassage physique avec l’augmentation des cadences de production, menaces sur les augmentations et promotions ». La liste n’est pas exhaustive ! 

Dès leur élection en 1995, il a été convoqué par le chef de service, et dès ses débuts (du temps de Général Motors), Malek a « toujours eu des soucis, comme [son] camarade Roland Robert ancien secrétaire du syndicat CGT. » 

Malek le sait : « Je suis dans le viseur », et c’est en 2019, lors d’un PSE que le patron voit «l’opportunité de se débarrasser de [lui] », et d’un autre élu CGT.  Malek a refusé son licenciement, soutenu par l’Inspectrice du travail, par le ministère du travail et par le tribunal administratif mais la direction lui a toujours refusé une réaffectation, malgré plus d’une vingtaine de postulations, bien qu’il soit reconnu travailleur handicapé mais tout à fait à même d’être requalifié.

Sous prétexte de la disparition de son poste, il a été relégué à des tâches inutiles et humiliantes, le summum étant atteint lorsqu’il fut contraint de « travailler », complètement seul, dans un espace grillagé appelé AUDIT RECEPTION zone prison, sous « un flicage permanent, le chef toujours derrière [lui], soufflant le chaud et le froid », cela depuis plus de 4 années,

Il évoque aussi des techniques bien connues qui impactent le collectif : création de syndicats « maison », comme la CFDT : « Ici les syndicats patronaux donnent des directives pour harmoniser les techniques… ». Et d’autres pratiques, pathétiques et dignes des lobbyistes : « réunions » au restaurant, cadeaux… « comme à l’hôtel Holiday Inn, les élus CGT leur dit d’aller se faire foutre, nous on veut négocier sur place [à la boîte]. » 

Face à la rapacité capitaliste de Dumarey, une seule solution : la lutte syndicale 

Le Syndicat CGT Dumarey Powerglide fait partie de la branche de la métallurgie, l’USTM (Union Syndicale des Travailleurs de la Métallurgie), et compte environ 100 syndiqués (75 actifs et 25 retraités) et compte beaucoup de sympathisants dans l’entreprise. Les difficultés de syndicalisation tiennent en grande partie à l’emploi massif d’intérimaires (1/4 des effectifs !), qui s’engagent plus difficilement. 

Le mardi 2 juillet, les travailleurs de Dumarey ont décidé de lancer une grève générale, paralysant presque entièrement l’usine. Cette mobilisation s’articule autour de revendications cruciales : le maintien des emplois, des garanties financières en cas d’incapacité, le paiement des jours de grève, ainsi qu’une rencontre avec l’actionnaire de Dumarey sur le site de l’usine. 

Selon la CGT, le bilan de cette grève est largement positif, car il démontre que les travailleurs prennent pleinement conscience de la gravité de la situation. Cette action prouve également que tous les employés, de tous les secteurs, se sentent concernés – des ouvriers aux agents administratifs, en passant par les techniciens et les cadres. 

Fidèle à ses principes, la CGT, représentée entre autres par notre camarade Malek, a décidé de consulter les travailleurs et de laisser l’Assemblée générale des grévistes se prononcer démocratiquement sur la suite de la grève, estimant que cette décision ne doit pas émaner des syndicats seuls. En revanche, la CFDT a appelé à la reprise du travail. 

Concernant la proposition scandaleuse de départ en retraite anticipée avec une perte de salaire pour les salariés de l’entreprise proche de la retraite, la CGT dénonce fermement une manœuvre qui vise uniquement à maximiser les profits sur le dos des travailleurs. Une fois de plus, l’entreprise montre son mépris total pour ceux qui ont contribué à sa prospérité, ne se préoccupant que de gonfler les dividendes des actionnaires. 

Les travailleurs qui accepteraient ce plan seraient condamnés à une baisse drastique de leur revenu jusqu’à l’âge de la retraite. Après des décennies d’exploitation, de conditions de travail usantes, de maladies causées par des gestes répétitifs, et d’horaires déstructurants, il est inacceptable que l’entreprise n’offre que 70% du salaire brut. La CGT a exigé une rémunération à 90% du salaire brut pour ces années d’attente, refusant de laisser l’entreprise sacrifier la dignité des travailleurs pour ses seuls intérêts financiers. 

Un PSE Une mise en sauvegarde a été lancé et sera devait être étudié au tribunal le 16 septembre prochain. Coup de théâtre, la procédure a été abandonné et la direction qui n’avait plus le sou a trouvé 90 millions d’euros dont 60 millions de fond de garanties pour les mesures sociales et 30 millions pour le fonctionnement de l’usine. Les camarades mettront en œuvre tout ce qui est possible pour assurer aux salariés un départ éventuel digne : une somme de 100.000 euros par salarié est exigée. “Dumarey et ZF doivent payer” pour toutes les vies qu’ils saccagent.   

Une manifestation intersyndicale avec les salariés a été organisée à Strasbourg le 28 septembre afin de dénoncer et rendre publique leur situation.

Vidéo des manifestations des camarades CGT Dumarey, avec une chanson créée par la chorale « Chantons en manif’ – CGT Éduc’Alsace » : paroles écrites par la chorale et musique générée à l’aide de l’IA.

La dernière action a été un rassemblement devant le salon de l’automobile à Paris, le 17 octobre 2024, avec les camarades de CLESTRA et NOVARES.

Mobilisation salon de automobile à Paris cgt dumarey

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